DISSOCIATION DE LA PERSONNALITE AU COURS DE
L'ENTRAINEMENT OCCULTE
Pendant
le sommeil, l'âme humaine ne reçoit pas d'informations
des organes physiques des sens. Dans cet état, les perceptions
du monde extérieur ne l'atteignent pas. Elle est vraiment, à
un certain égard, en dehors de cette partie de la
nature humaine qu'on appelle le corps physique et qui, à
l'état de veille, transmet les perceptions sensorielles et la
pensée. Elle n'est plus reliée qu'aux corps subtils
(éthérique et astral), lesquels échappent à
l'observation physique. Or l'activité de ces corps subtils est
loin de s'arrêter pendant le sommeil. De même que le
corps physique est en relation avec les choses et les êtres du
monde physique sur lesquels il agit et qui agissent sur lui, de même
l'âme vit dans le monde supérieur et cette vie n'est pas
interrompue par le sommeil. Car pendant ce temps, l'âme est
pleinement active. Mais l'homme ne peut rien savoir de cette activité
tant qu'il ne possède pas d'organes de perception spirituelle,
grâce auxquels il puisse observer pendant le sommeil ce
qui l'entoure et ce qu'il fait lui-même, aussi bien qu'à
l'état de veille il observe le milieu physique avec ses sens.
La discipline occulte consiste, comme on l'a vu dans les précédents
chapitres, à aider l'éclosion de ces sens spirituels.
Or,
si l'homme parvient par cette discipline à transformer le
caractère du sommeil dans le sens que nous avons indiqué,
il se trouve à même de suivre consciemment tout ce qui
se passe autour de lui quand il est dans cet état, et il
peut se conduire à son gré dans ce milieu comme il le
fait à l'état de veille à l'aide des sens. Il
est bon toutefois de remarquer que la perception consciente du
milieu physique ordinaire suppose déjà un degré
supérieur de clairvoyance. Nous en avons déjà
parlé plus haut. Tandis que, au début de
l'entraînement, l'étudiant en occultisme perçoit
seulement les réalités d'un autre monde sans pouvoir
retrouver leur lien avec les objets de son milieu familier.
Les
caractères particuliers du songe et du sommeil se
retrouvent constamment dans toute la vie. L'âme vit sans
interruption en contact avec les mondes supérieurs, et y est
active. Elle y puise les impulsions par lesquelles elle ne cesse
d'agir sur son corps physique. Chez l'homme ordinaire, cette vie dans
le monde spirituel reste inconsciente. L'occultiste, lui,
en prend conscience et c'est ce qui transforme son existence. Aussi
longtemps que l'âme n'est pas clairvoyante, elle
est menée par des êtres qui la dépassent, mais de
même qu'un aveugle-né, une fois opéré,
voit son existence se transformer et devenir tout autre dès
qu'il peut se conduire sans guide, de même la formation occulte
métamorphose la vie de l'être humain. Désormais,
il n'a plus besoin de guide, il doit se prendre en main. Par là,
il devient évidemment sujet à bien des erreurs que
la conscience ordinaire ne soupçonne pas. Il tire ses mobiles
d'action d'une sphère où jusqu'alors, sans qu'il en ait
conscience, il était soumis à des puissances
supérieures intégrées dans l'harmonie
universelle. Le disciple se retire donc de cette harmonie et
maintenant c'est par lui-même qu'il doit accomplir des
actes que l'univers accomplissait auparavant pour lui et sans sa
participation consciente.
C'est
bien pour cette raison que, dans les écrits qui traitent de
l'occultisme, il est si souvent parlé des dangers liés
à l'essor dans les mondes supérieurs. La
description de ces dangers semble faite pour remplir d'effroi les
âmes timides à l'égard de cette nouvelle vie.
Mais il faut dire que ces dangers existent seulement pour celui qui
n'observe pas les règles nécessaires de prudence.
Quand ces règles sont observées et que le disciple a
suivi de point en point les avis du véritable occultisme,
alors, si son essor est marqué par des expériences qui
dépassent en puissance et en grandeur tout ce que la plus
audacieuse fantaisie peut imaginer, on ne saurait cependant parler de
danger réel pour la santé ni pour la vie. Certes
l'homme découvre des forces terribles qui menacent la vie
sous toutes ses formes; il devient capable de se servir
lui-même de certaines forces et d'êtres qui échappent
à la perception sensorielle. La tentation est grande de
les asservir à son intérêt personnel d'une
manière indue, ou de les employer à tort, faute de
connaissances suffisantes. Nous en reparlerons dans le chapitre sur le
« gardien du seuil ».
Il
faut bien se rendre compte d'ailleurs que ces forces ennemies de la
vie existent, alors même qu'on les ignore; il est vrai qu'en
ce cas leur relation avec l'humanité est soumise à
des lois supérieures. C'est cette relation qui change
quand l'homme pénètre consciemment dans ce monde qui
lui était jusqu'alors caché. Toutefois, il renforce par
là sa propre existence et enrichit dans une mesure incroyable
sa sphère de vie. Il n'y a de vrai danger que si le disciple
s'impatiente ou se surestime, s'il veut se mesurer trop tôt
tout seul avec certaines expériences sans attendre que son
esprit se soit suffisamment pénétré des lois
spirituelles. L'humilité et la modestie sont encore bien moins
des mots vides dans ce domaine que dans la vie quotidienne. Quand le
disciple les possède vraiment, il peut être assuré
que son essor dans les mondes supérieurs ne comportera aucun
danger pour ce qu'on appelle habituellement la vie et la santé.
Avant
tout, il faut éviter les dissonances entre les expériences
supérieures et les exigences de la vie quotidienne. C'est sur
la terre que les devoirs de l'homme sont à remplir et ce
serait manquer à coup sûr sa destinée que de
vouloir échapper à ces devoirs terrestres pour s'évader
dans un autre monde.
Mais
ce que les sens perçoivent n'est toutefois qu'une partie du
monde, et les entités qui s'expriment au travers des
phénomènes sensibles sont de nature spirituelle. Il
faut participer à la vie de l'esprit pour être à
même de transférer ses manifestations en ce monde
d'ici-bas. L'homme transforme la terre en y implantant les germes de
l'esprit recueillis dans le monde supérieur. Là est sa
mission. Il doit tendre à s'élever jusqu'au niveau de
l'esprit précisément parce que le monde sensible est né
du spirituel et qu'on ne peut agir efficacement sur cette terre qu'en
ayant part à ce monde spirituel qui recèle toute
énergie créatrice. Si l'on applique dans ce sens
la discipline occulte sans dévier un seul moment de la
direction que l'on s'est fixée, alors on n'a pas à
redouter le moindre danger. Une perspective de danger d'ailleurs
ne doit détourner personne, mais uniquement encourager à
acquérir les qualités qui font le véritable
étudiant en occultisme.
Après
ces remarques préliminaires qui peuvent dissiper toute
crainte, nous allons passer maintenant à la description de
quelques-uns de ces prétendus
« dangers ».
Il se produit de grands changements dans les corps subtils du disciple. Ces
changements résultent des processus évolutifs des
trois grandes forces de l'âme : volonté, sentiment et
pensée. Avant que l'on n'entreprenne un entraînement
spirituel, ces trois forces se trouvent normalement dans une relation
qui dépend des lois universelles. L'homme ne peut pas sentir,
penser ou vouloir n'importe comment. Par exemple,
lorsqu'une représentation se fait jour dans la conscience,
elle s'associe tout naturellement à un certain sentiment, ou
bien elle entraîne une certaine décision. Si l'on entre
dans une chambre où l'air est étouffant, on ouvre la
fenêtre; si l'on s'entend appeler par son nom, on répond
à cet appel; on vous interroge, vous répondez; si
l'on voit un objet qui sent mauvais, on éprouve un sentiment
désagréable.
Ce
sont là des rapports simples, spontanés, entre la
pensée, le sentiment et la volonté. Or, dès que
l'on regarde la vie humaine dans son ensemble, on constate
qu'elle repose tout entière sur ces liens. Bien plus, une vie
ne semble être
« normale »
que si l'on peut y constater la présence de ces liens naturels entre
les forces de l'âme. On considérerait comme en contradiction avec
les lois de la nature humaine qu'un homme, par exemple, éprouvât
un sentiment agréable en respirant une mauvaise odeur ou
qu'il ne répondît pas à une question. Les
résultats que l'on peut escompter d'une bonne éducation
ou d'un enseignement correct, c'est précisément
d'affermir chez l'élève ces liens naturels entre la
pensée, le sentiment et la volonté. Les notions
que l'on inculque à un enfant sont destinées à
être solidement reliées pour l'avenir au réseau
de sa sensibilité et de sa vie volontaire.
La
cause en est que dans les
« corps »
subtils de l'âme les centres de ces trois forces coïncident entre
eux pour former un tout cohérent. Cette même union se retrouve
d'ailleurs dans le corps physique matériel. Car là
aussi les organes qui servent à la volonté se trouvent
naturellement reliés à ceux qui expriment la pensée
et le sentiment. C'est ainsi que telle pensée appelle
normalement le sentiment ou l'acte volitif correspondant. Or, il
vient un moment, dans l'entraînement occulte, où les
liens qui unissent entre elles ces trois forces fondamentales ne
jouent plus. Cet arrêt ne se produit d'abord que dans le subtil
organisme psychique; mais la séparation se répercute,
au stade suivant, jusque sur le corps physique. Le cerveau d'un
homme spirituellement évolué se dissocie par
exemple littéralement en trois éléments
distincts. Cette séparation n'est d'ailleurs pas
perceptible aux sens ordinaires, ni vérifiable par les
instruments les plus précis. Elle se produit pourtant et le
clairvoyant a le moyen de l'observer. Le cerveau du clairvoyant
avancé se dissocie en trois natures indépendantes l'une
de l'autre : le cerveau-pensée, le cerveau-sentiment et le
cerveau-volonté.
Les
organes de la pensée, du sentiment et de la volonté
sont désormais parfaitement autonomes. Nulle loi innée
ne règle plus leurs rapports et c'est à la conscience
supérieure éveillée en l'homme que revient la
charge de les harmoniser.
L'étudiant
en occultisme constate ce changement; il remarque qu'il
n'existe plus chez lui aucun lien entre une représentation et
un sentiment ou entre un sentiment et une volition — à
moins qu'il ne crée lui-même ce lien. Nulle impulsion
ne le mène plus d'une idée vers une action, s'il ne la
crée pas lui-même en lui. Il peut maintenant rester
insensible devant un phénomène qui lui inspirait
auparavant un amour vibrant ou une haine violente; il reste sans
réaction à l'égard d'une pensée qui
auparavant l'aurait porté avec enthousiasme vers l'action.
D'autre part, il peut accomplir volontairement des actes pour
lesquels il n'existe chez l'homme ordinaire aucune raison d'agir. Il
a réalisé cette grande conquête de la discipline
occulte : la maîtrise parfaite de la coordination entre
les trois forces de l'âme. Mais en retour, c'est lui qui est
désormais responsable de cette coordination.
L'homme
ne peut entrer en relations conscientes avec certaines forces et
certains êtres suprasensibles que s'il a ainsi transformé
sa nature interne. Car il existe une parenté entre certaines
forces fondamentales de l'univers et les forces personnelles de son
âme. Par exemple, celle qui réside dans la volonté
peut agir sur des êtres et des objets précis du monde
spirituel, et les percevoir. Mais elle ne le peut que
lorsqu'elle s'est libérée de toute union intime dans
l'âme avec le sentiment et la pensée. Dès que ce
lien est rompu, l'action de la volonté s'extériorise.
Et il en va de même pour les forces de la pensée et du
sentiment. Par exemple, si un homme dirige vers un autre un
sentiment de haine, ce sentiment est visible au clairvoyant sous
la forme d'un léger nuage lumineux d'une coloration
particulière. Le clairvoyant peut détourner ce
sentiment de haine tout comme dans le monde sensible un homme
physique peut détourner le coup qui le menace. La haine
devient dans le monde supérieur un phénomène
visible. Et si le clairvoyant peut le percevoir, c'est parce
qu'il est capable d'extérioriser la force qui réside
dans sa sensibilité, de même que l'homme physique tourne
vers le dehors la sensibilité de son œil quand il veut
voir. Or, il en est de même pour des faits encore bien plus
importants de la vie sensible. L'homme peut établir avec
eux un rapport conscient dès que les trois forces
fondamentales de l'âme sont rendues indépendantes l'une
de l'autre.
Cette
séparation entre pensée, sentiment et volonté
peut engendrer, si l'on oublie les règles du véritable
occultisme, trois sortes de dangers de nature à troubler le
progrès de l'être humain. Le premier désordre
peut se produire si les liens sont rompus avant que la conscience
supérieure soit assez avancée dans la connaissance pour
pouvoir imprimer elle-même l'orientation qui assurera
l'accord libre et harmonieux des forces qui se sont dissociées.
Car,
en règle générale, ces forces ne sont pas toutes
les trois, au même moment, à un degré égal
de maturité. Chez celui-ci, c'est la pensée qui est la
plus développée, chez celui-là, c'est le
sentiment ou la volonté. Tant que la coordination des forces
reste maintenue par les lois universelles, la prédominance
de l'une d'entre elles ne saurait provoquer de perturbation
importante. Chez l'être de volonté, par exemple, les
lois universelles permettent à la pensée et au
sentiment de compenser les excès auxquels pourrait se porter
une activité volontaire exagérée. Si cet être
de volonté entreprend de suivre un développement
occulte, cette influence compensatrice du sentiment et de la pensée
cesse toutefois de freiner la volonté qui se livre à
des débordements terribles, et si l'homme n'est pas
parfaitement maître de sa conscience supérieure au point
de rétablir l'harmonie, alors la volonté ne connaît
plus de frein et ne cesse de tyranniser l'âme. Le sentiment et
la pensée sont réduits à une impuissance
totale. Fouetté par une activité volontaire
dominatrice, l'homme est son esclave. Une nature de violence s'est
créée, qui passe sans frein d'une action à une
autre.
La
deuxième aberration peut apparaître si le sentiment se
dérègle outre mesure. Une personne naturellement
encline à la dévotion et au respect envers d'autres
êtres peut par exemple tomber dans une dépendance totale
à leur égard jusqu'à en perdre sa volonté
et sa pensée personnelles.
Au
lieu d'acquérir la connaissance supérieure, cette âme
s'anémie et se vide misérablement. Elle peut aussi, si
elle laisse la bride à une vie affective portée à
la piété et aux sentiments religieux, tomber dans un
mysticisme exalté, déréglé.
Le
troisième désordre résulte du développement
exagéré de la pensée. Il apparaît alors un
état d'âme contemplatif, introverti, hostile aux
manifestations de la vie. Pour ces êtres-là, le monde ne
semble plus avoir d'importance que dans la mesure où il offre
des occasions de satisfaire leur avidité dévorante
de connaissances. Nulle pensée ne saurait plus les inciter à
l'action, ni éveiller un sentiment. Ils observent toutes
choses avec froideur et détachement. Ils fuient le contact
avec la réalité quotidienne, qui leur répugne,
ou tout au moins qui a perdu tout sens pour eux.
Telles
sont les trois impasses dans lesquelles le disciple peut s'égarer
: la volonté de puissance, les exaltations du sentiment, une
recherche de connaissance froide et sans amour. Pour l'observateur
superficiel, et même pour la médecine matérialiste,
un être en proie à l'une de ces erreurs ressemble de
très près à un fou ou tout au moins à un
« grand nerveux ».
Il est évident que le disciple
doit éviter cette ressemblance. Et il le peut s'il développe
les trois forces de l'âme d'une manière harmonieuse
avant de détacher leurs liens innés et de les placer
sous l'unique contrôle de la conscience supérieure.
Car
dès qu'une faute a été commise et que l'une des
forces fondamentales est livrée à elle même, la
naissance de l'âme supérieure ne peut plus produire
qu'un être anormal et incomplet. La force déchaînée
remplit la personnalité tout entière et il ne sera pas
possible d'ici longtemps de songer à remettre tout en
équilibre. Chez celui qui n'entreprend pas de se
perfectionner, le fait d'être une nature volontaire ou
sentimentale, ou méditative, apparaît comme un trait de
caractère inoffensif. Mais ces prédominances exclusives
prennent chez le disciple des proportions telles qu'il y perd
l'intégrité de sa nature humaine et se trouve désemparé
dans l'existence.
Le
danger ne devient d'ailleurs sérieux qu'au moment où le
disciple acquiert la faculté de reproduire à
l'état de veille des expériences semblables à
celles du sommeil. Tant qu'il n'a pas dépassé le stade
où le sommeil est entrecoupé d'éclaircies, la
vie sensible gouvernée par les lois cosmiques rétablit
elle-même l'équilibre. C'est pourquoi il est si
nécessaire que la vie du disciple à l'état de
veille soit une vie normale, saine et réglée à
tous égards. Mieux il répond aux exigences
naturelles en maintenant son corps, son âme et son esprit en
état de vigueur et de santé, et mieux cela vaut pour
lui. Par contre, si la vie quotidienne contribue à l'exciter
ou à le déséquilibrer et que cette
influence pernicieuse vient du dehors ajouter un effet destructeur
aux grands changements qui se font dans sa vie intérieure, le
résultat peut être mauvais. Il doit donc rechercher tout
ce qui correspond au jeu normal de ses facultés et de ses
forces, tout ce qui peut favoriser des conditions de vie harmonieuses
avec son entourage. Il doit, par contre, éviter tout ce
qui pourrait troubler cette harmonie et introduire dans son existence
inquiétude ou agitation. Il ne s'agit pas tant de résorber
les manifestations extérieures de cette agitation que de
veiller à ce que la vie intérieure, les idées,
les états d'âme, la santé, ne subissent pas
constamment des chocs.
Tout
cela n'est plus si facile à observer quand on a entrepris un
développement occulte. Car les expériences supérieures
qui enrichissent maintenant la vie exercent une action continue
sur l'existence entière. Et s'il y a dans ces expériences
supérieures quelque chose d'anormal, un désordre
vous guette et peut à tout moment vous jeter hors du droit
chemin. Aussi le disciple ne doit-il rien négliger de ce qui
lui assurera la maîtrise sur tout son être. Jamais ne
doivent lui faire défaut la présence d'esprit ou
le calme nécessaires pour aborder quelque
situation où la vie le place. D'ailleurs une discipline
occulte véritable fait naître par elle-même
toutes ces qualités. Elle vous instruit des dangers en vous
donnant au moment voulu la pleine force nécessaire pour les
conjurer.
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