LE GARDIEN DU SEUIL
Les
rencontres avec le gardien du seuil sont des expériences de
grande importance qui accompagnent l'ascension dans les mondes
supérieurs. En réalité, il n'y a pas un seul
gardien, mais exactement deux : l'un qui est le
« petit »,
l'autre le
« grand »
gardien du seuil. On rencontre le
premier lorsque les liens qui unissent entre elles la volonté,
la pensée et le sentiment dans les corps subtils (astral et
éthérique) commencent à se séparer, ainsi
qu'on l'a décrit au chapitre précédent. Quant au
grand gardien du seuil, l'homme le rencontre quand la rupture de ces
liens atteint aussi les organes physiques du corps, notamment et en
premier lieu le cerveau.
Le
« petit »
gardien du seuil est un être autonome.
Il n'existe pas pour l'homme qui n'a pas encore atteint le stade de
développement où on le rencontre. On ne peut décrire
ici que quelques-unes de ses caractéristiques essentielles.
Nous
essaierons tout d'abord de représenter sous une forme
narrative la rencontre du disciple avec le gardien du seuil. Cette
rencontre vient l'avertir que chez lui pensée, sentiment et
volonté échappent à leur coordination primitive.
Un
être assez effrayant se dresse devant le disciple. Celui-ci a
besoin, pour en soutenir la vue, de faire appel à tout ce
qu'il a pu acquérir de présence d'esprit et à sa
confiance dans l'excellence du chemin qu'il suit vers la
connaissance.
Voici
comment le
« gardien »
révèle le sens de son être :
« Jusqu'ici, tu as été guidé
par des puissances qui étaient invisibles à tes yeux.
C'est par elles qu'au cours de tes existences antérieures,
chacune de tes bonnes actions a eu sa récompense, chacun
de tes méfaits ses suites fâcheuses. Sous leur
influence, ton caractère s'est édifié, marqué
par tes expériences et tes pensées. Elles ont décidé
de ton destin. Elles ont déterminé la part de joie ou
de souffrances qui devait t'échoir à chacune de tes
incarnations d'après ta conduite passée. Elles ont
régné sur toi sous la forme de la loi universelle de
« Karma ».
Ces puissances vont renoncer maintenant à une
part de leur domination sur toi. Une partie du travail qu'elles
accomplissaient, tu dois t'en charger à présent.
De rudes coups du destin t'ont frappé jusqu'ici et tu ne
savais pas pourquoi : c'était la suite d'une action nuisible
accomplie par toi dans une de tes existences précédentes.
Parfois aussi tu as rencontré le bonheur et la joie et tu les
a accueillis. C'était là également un effet
d'anciennes actions. Dans ton caractère il y a bien des beaux
côtés, bien des taches hideuses; tu as créé
toi-même les uns et les autres par tes actes et tes pensées
antérieures. Jusqu'ici tu as connu les effets sans voir les
causes. Mais elles, les puissances karmiques, ont scruté
toutes tes actions passées, tes pensées, tes sentiments
les plus secrets, et elles ont déterminé d'après
cela ton être actuel et le cours de ta vie.
« A
présent vont se révéler directement à
toi tous les bons et tous les mauvais côtés de tes
incarnations précédentes. Ces causes étaient
jusqu'ici tissées dans ta propre nature; elles étaient
en toi et tu ne pouvais les voir, de même qu'avec ton œil
physique tu ne saurais voir ton cerveau. Maintenant tout ce passé
se détache de toi-même et se dégage de ta
personne. Il prend une forme autonome que tu peux regarder comme tu
regardes les pierres et les plantes du monde extérieur.
Et moi-même je suis l'être qui s'est façonné
un corps avec tout ce qu'il y a en toi de noble ou de vil. Mon
apparence fantomale est faite des dettes que tu as contractées
et qui sont consignées sur le livre de ta vie. Tu m'as porté
en toi sans me voir jusqu'ici. Cet aveuglement fut heureux pour toi.
Car la sagesse d'un destin qui t'était caché a pu ainsi
travailler à ton insu à effacer les taches hideuses
dont tu vois en moi les vestiges. Maintenant que je suis sorti de
toi, cette sagesse cachée t'a également abandonné.
Désormais elle ne se souciera plus de toi. Elle remet sa tâche
entre tes mains. Il faut que je devienne un être parfait et
splendide, sans quoi je tomberais en perdition. Si ce malheur
m'arrivait, je t'entraînerais avec moi dans un monde obscur et
déchu. Pour éviter cette calamité, il faut que
ta propre sagesse soit assez grande pour prendre sur elle la tâche
dont s'acquittait auparavant la sagesse cachée qui t'a
abandonné. Lorsque tu auras franchi le seuil que je garde, à
aucun moment je n'échapperai plus à tes yeux. Quand tu
feras quelque chose de mal, tu percevras tout de suite ta dette
en ce que ma forme en sera altérée de manière
horrible, démoniaque. C'est seulement quant tu auras redressé
tes erreurs passées et seras assez purifié pour
que le mal te soit devenu impossible, que mon être se revêtira
d'une radieuse beauté et, pour le plus grand bien de ton
activité future, je pourrai m'unir à toi pour ne plus
former avec toi qu'un seul et même être.
« Mon
seuil est cimenté par les craintes et les appréhensions
que tu ressens encore devant l'entière charge de
toi-même, l'entière responsabilité de ta
conduite, de ta pensée. Tant que tu redoutes d'avoir à
diriger toi-même ta destinée, le seuil n'a pas encore
tout ce qu'il doit comporter; tant qu'il y manque une pierre, tu
dois rester devant ce seuil; tu ne passeras pas. N'essaie pas de le
franchir avant de te sentir entièrement affranchi de la peur
et prêt à te charger de la responsabilité
suprême.
« Jusqu'à
présent, je ne sortais de ton être
personnel que quand la mort mettait fin à l'une de tes
courses terrestres. Même à ce moment, toutefois, ma
forme te demeurait voilée. Seules m'apercevaient les
puissances qui veillaient sur ton destin. D'après mon aspect,
elles pouvaient façonner, dans les intervalles qui
séparent la mort d'une nouvelle naissance, les forces et les
facultés qui devaient te permettre de travailler à ton
progrès, dans une incarnation nouvelle en embellissant
ma forme. Et c'est aussi mon imperfection qui obligeait toujours ces
puissances à te ramener sur la terre pour une autre
incarnation. A ta mort j'étais là, et les maîtres
du Karma décidaient de ton retour sur la terre d'après
ce que j'étais. C'est seulement si tu étais arrivé
inconsciemment, par la suite de tes incarnations, à me
rendre parfait, que les puissances de la mort n'auraient plus eu
d'action sur toi; fondu en moi tu aurais enfin pu entrer dans
l'immortalité en union avec moi. Mais aujourd'hui, je suis
devenu pour toi visible, alors que j'étais toujours près
de toi à l'heure de la mort, mais invisible. Lorsque tu
auras franchi mon seuil, tu entreras dans les sphères que tu
ne connais généralement qu'après la mort
physique. Tu vas y entrer en pleine conscience; et en même
temps que tu continueras à évoluer sur terre sous une
forme physiquement visible, tu vas évoluer désormais
dans le royaume de la mort, c'est-à-dire le royaume de la
vie éternelle. Car en réalité je suis aussi
l'ange de la mort, en même temps que je suis l'annonciateur
d'une vie éternelle, d'une vie supérieure,
intarissable. Vivant aujourd'hui dans ton corps, tu traverseras par
moi la mort pour renaître à une existence que plus
jamais rien n'anéantira.
« La
sphère où tu pénètres va te révéler
des êtres de nature suprasensible. La félicité y
sera ton partage, mais ta première rencontre dans ce nouveau
monde, c'est moi-même, ta créature. Auparavant, je
vivais de ta vie propre; tu m'as éveillé maintenant à
une existence autonome et me voici devant toi, juge visible de tes
actions à venir, peut-être comme un reproche constant.
Tu as pu me créer, mais en même temps tu as pris sur toi
la charge de me transformer en un être parfait. »
Ce
qui est présenté ici sous forme narrative ne doit pas
être considéré comme un symbole, mais comme une
expérience des plus réelles pour le disciple.
(Note 16 :
Il ressort de ce qui précède, que le gardien du seuil
qui vient d'être décrit est une forme (astrale) qui se
révèle à la clairvoyance en train de s'éveiller
chez le disciple. La science spirituelle mène à cette
rencontre suprasensible. C'est seulement par un procédé
de magie intérieure que l'on peut rendre le gardien visible
aux sens physiques. L'opération consiste à produire un
nuage de matière subtile, une sorte d'apparition fumeuse,
composée d'un mélange de diverses substances. La force
du magicien parvient à donner forme à cette fumée
et à l'animer au moyen du Karma que le disciple n'a pas encore
purgé. Si l'on est suffisamment préparé à
la vision spirituelle, il n'est plus besoin de pareille évocation
sensible. C'est un danger très grave d'être appelé,
sans préparation suffisante, à contempler, sous la
forme, d'un être vivant, sensible, le résidu du Karma
« non purgé »;
il ne faut pas d'ailleurs aspirer à
cette expérience. Dans le roman de Bulwer Lytton,
« Zanoni »,
on trouvera une description romanesque de la
rencontre avec le gardien du seuil ainsi matérialisé.)
Le
gardien doit expressément l'avertir de ne pas avancer
davantage s'il ne se sent pas la force de répondre aux
exigences qui viennent de lui être révélées.
Si terrible que soit cette apparition, elle n'est pourtant que
l'effet de l'existence antérieure du disciple, elle n'est
que sa propre nature extériorisée et éveillée
à la vie autonome. Cet éveil survient lorsque se
dissocient les trois forces : volonté, pensée et
sentiment.
C'est
déjà une expérience d'une grande portée
d'avoir, pour la première fois, conscience que l'on a engendré
un être spirituel. Le disciple doit être préparé
à supporter sans le moindre effroi cette vision terrible. Au
moment de la rencontre, il doit se sentir assez fort pour oser se
charger délibérément d'embellir cette forme.
Si
le disciple se tire avec bonheur de cette première rencontre
avec le gardien du seuil, une conséquence en sera que sa
prochaine mort physique sera un événement tout autre
que les morts précédentes. Il accomplira consciemment
l'acte de mourir, en déposant son corps physique comme on
dépose un vêtement qui est trop usé ou qu'une
déchirure vient de mettre hors d'usage. Sa mort physique n'a
pour ainsi dire plus d'importance que pour les autres, ceux qui
vivaient avec lui et qui s'arrêtent encore aux perceptions des
sens. Pour eux, le disciple
« meurt »;
pour lui, il ne
se produit pas un changement très important dans ce qui
l'entoure. Tout l'univers spirituel dans lequel il entre
s'offrait déjà identiquement à lui avant sa
mort; c'est ce même univers qu'il contemple après sa
mort.
Mais le
« gardien du seuil »
enseigne encore autre chose. L'homme appartient à une famille, à
un peuple, à une race; il agit dans le monde en fonction de son
appartenance à ces communautés; son propre caractère en
dépend également. Or, ce qui compose la famille, le peuple ou la
race, est loin d'être uniquement la somme de toutes les actions
accomplies consciemment par les individus. Les familles ou les
peuples ont une destinée comme elles ont des caractères
distinctifs. Ces choses restent des notions générales
pour l'homme ordinaire. Quant au penseur matérialiste,
rempli de préjugés, il n'a que mépris pour
l'occultiste qui prétend que la destinée d'une
famille ou d'un peuple, le caractère d'une tribu ou d'une
race, existent aussi réellement pour lui que la destinée
d'un individu. C'est que l'occultiste découvre des
réalités supérieures, dont les simples individus
sont les membres, au même titre que les bras, les jambes et la
tête sont des parties du corps humain. Dans la vie d'une
famille, d'un peuple ou d'une race, il voit agir, outre les
individus, des réalités plus hautes qui sont
vraiment l'âme de cette famille, de ce peuple, l'esprit de
cette race. On peut dire que les individus ne sont, en un certain
sens, que les organes exécutifs de ces âmes-groupes
et il est parfaitement juste de parler de l'âme d'un peuple qui
se sert, par exemple, des individus appartenant à un pays pour
accomplir certaines tâches. L'âme du peuple ne descend
pas jusqu'à la matérialisation sensible; elle vit dans
les mondes supérieurs, et pour agir dans le monde sensible,
elle se sert des individus comme d'organes physiques. Elle se
comporte comme un architecte qui emploie des manœuvres pour
bâtir un édifice.
Tout
homme reçoit, au plein sens du terme, de ces âmes de
famille, de peuple, de race, la tâche qui lui est dévolue.
L'homme borné aux sens n'est nullement initié au plan
supérieur qui commande son action. C'est inconsciemment
qu'il sert à réaliser les buts assignés par
l'âme du peuple ou de la race. Tandis que le disciple, dès
qu'il a rencontré le gardien du seuil, doit, non seulement
veiller à l'accomplissement de ses devoirs personnels, mais
encore collaborer sciemment à l'œuvre de son
peuple et de sa race. Tout élargissement de son horizon
agrandit aussi inéluctablement le champ de ses devoirs. Ce qui
se passe en réalité, c'est que le disciple ajoute en
quelque sorte un nouveau corps psychique au précédent,
comme un vêtement de plus. Jusqu'ici, il allait dans la vie à
l'abri des voiles qui habillaient sa personnalité, et les
entités spirituelles qui se servaient de lui prenaient soin de
régler ce qu'il avait à faire pour la collectivité.
Le gardien du seuil lui découvre maintenant qu'à
l'avenir ces puissances spirituelles vont se retirer de lui. Il
doit émerger de la collectivité; mais il s'endurcirait
dans son isolement et n'échapperait pas à la
perdition s'il n'acquérait pas lui-même maintenant les
forces appartenant aux esprits des peuples et des races.
Beaucoup prétendent, il est vrai, s'être affranchis
de toute dépendance à l'égard du peuple et de la
race. Ils disent :
« Il me suffit d'être un homme et rien
qu'un homme »;
mais il faut leur répondre :
« A qui devez-vous votre liberté ? N'est-ce pas votre famille
qui vous a donné votre place dans le monde, n'est-ce pas votre
peuple ou votre race qui a fait de vous ce que vous êtes ? Ils
vous ont éduqué, et si vous pouvez vous élever
au-dessus de tous les préjugés, devenir pour votre
peuple ou votre race une lumière ou un bienfaiteur, n'est-ce
pas à cette éducation que vous en êtes
redevable ? Alors même que vous dites
« n'être rien qu'un homme »,
c'est aux esprits des collectivités au sein desquelles vous
êtes né que vous devez d'être devenu ce que vous
êtes. »
Seul,
le disciple peut comprendre ce que c'est qu'être abandonné
par les esprits du peuple et de la race; lui seul peut savoir
combien toute l'éducation reçue est de peu de poids en
face de la vie qui l'attend désormais. Car tout ce qui lui a
été apporté se désagrège lorsque
se rompent les liens entre volonté, pensée et
sentiment. Il regarde les résultats de toute l'éducation
reçue comme on regarde une maison lézardée de
toutes parts et qu'il s'agit de reconstruire sur un nouveau
plan. C'est donc plus qu'un symbole si l'on dit : Après que le
gardien du seuil a fait connaître ses premières
exigences, alors, de l'endroit où il se trouve, se lève
un vent de tempête, un vent qui éteint toutes les
lumières spirituelles qui, jusqu'alors, ont éclairé
pour le disciple la route de l'existence. Une obscurité totale
s'étend devant le disciple. Elle n'est interrompue que
par l'éclat qui émane du gardien du seuil. Du sein de
cette obscurité sortent de nouveaux avertissements :
« Ne franchis pas mon seuil avant d'être sûr que tu vas
rendre, par toi-même, de la lumière à ces
ténèbres; ne fais pas un pas de plus si tu n'es pas
certain d'avoir assez d'huile spirituelle pour alimenter désormais
ta propre lampe. Car les lampes des guides qui t'éclairaient
jusqu'ici te feront défaut à l'avenir. »
Après ces paroles, le disciple doit se retourner et porter ses regards
derrière lui. Le gardien du seuil écarte alors pour lui
le rideau qui cachait jusqu'ici les mystères profonds de
l'existence. Il découvre dans leur pleine activité les
esprits de la famille, du peuple, de la race; il voit précisément
qu'il a été guidé jusque là et il lui
devient clair que désormais il ne le sera plus. Tel est le
second avertissement que, près du seuil, on reçoit du
gardien.
Personne
ne pourrait supporter sans préparation un tel spectacle si la
forte discipline qui a rendu l'individu capable d'atteindre le seuil
ne lui permettait aussi de trouver au moment voulu les forces
nécessaires. Dans certains cas, il se peut que cette
discipline ait été si harmonieuse que l'entrée
dans la vie nouvelle perde tout caractère impressionnant
ou tumultueux; alors les expériences devant le seuil sont
accompagnées d'un pressentiment de cette félicité
qui sera la note dominante de l'existence nouvellement acquise.
Le sentiment de la liberté nouvelle efface tous les autres.
Sous l'effet de ce sentiment, les devoirs nouveaux et la
responsabilité nouvelle dont on doit se charger apparaissent
comme une obligation qui échoit nécessairement à
l'homme parvenu à ce stade de son évolution.
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